Sur le bruit d’une branche

Poésie - Sur le bruit d’une branche - Editions Couleurs d'encre - Lausanne - Suisse

Poèmes de Virginie JatonPeintures de Claire Nicole18 x 13 cm - 48 pages - 12 peintures en couleursEditions Couleurs d’encre, décembre 2008

Livre en édition limitée à 112 exemplaires imprimés sur vélin d’Arches 160 g

12 exemplaires de tête, numérotés de I à XII, justifiés et signés, comprenant une des 12 peintures originales sous portefeuille toilé

100 exemplaires numérotés de 1 à 100.

Virginie Jaton: mots blancs sur fond blanc

J-P Gavard-Perret

Sur des poèmes parus dans Passage d’encres n° 24, janvier 2006

Si la vie est encore là dans un tel poème, si la première nous accorde des joies éphémères que le second ne donne pas puisque Virginie Jaton nous laisse sans illusion, cela vaut pourtant la peine de s’y attarder longtemps. S’y attarder afin de contempler « le monde  blanc » donc privé de couleur ce qui a priori serait plutôt une bonne : « dans le blanc le reflet du vide ».
Mais, et c’est là où les choses se compliquent, il existe une force plus grande. Celle de l’instinct de dévastation inscrit en nous comme depuis le départ. Celle du lent est inexorable déclin contre lequel les mots ne font, ne peuvent rien que signer un acte de décès par anticipation. Reste donc bien jusque dans le blanc, le vide, mais le « vide abîmé ». Pour l’auteur toutes les ombres nous attirent dans leurs bras et la question se déplace sans cesse d’un « qui je suis » au « si je suis ». Les mots ne font donc rien que constater les dégâts, les mots, même pas puisque en fin de texte, en fin de courses « ne restent que les syllabes ».
Ecrire est donc toujours  croire connaître les propriétés physiques du feu sans en avoir éprouvé la chaleur et la brûlure, écrire « Juste le froid Le froid » n’est pas pour autant l’éprouver. Pourtant écrire est une nécessité. A une restriction près que respecte et met en branle l’auteur helvétique : écrire ce n’est pas parler une langue mais la laisser  parler en soi bien au delà de la seule volonté consciente et au sein d’une suite de fractures telluriques que la géographe-poète en sismographe appliquée provoque.
Ainsi, dans un  « poème antérieur, invertie à la matière la couleur s’estompe » il y a toute une suites de décollements, de glissements puisque, justement, la couleur elle-même se détache de ce qui la constitue jusqu’à laisser en présence un rien, un vide consubstantiel peut-être à la nature (quelle qu’elle soit). Ce qui est sans doute le comble pour une géographe qui sait combien celle-là a horreur du vide.
Mais c’est aussi le pari d’un texte qui trace, hors psychologisme étroit, une nouvelle carte (pas forcément du tendre). Dès lors à la plus exacte répartie de chaque mot s’inscrit une errance, une expérience balbutiante :

« Rester
Ne pas rester
Rester devant
Le langage discret »
comme si lui aussi se retirait du monde jusqu’à dessiner un no man’s land. En conséquence nous sommes contraints d’avancer dans un poème-paysage étrange, sorte de tissu précaire qui cède sans cesse. Non qu’on en perde le fil: car quelque chose y vibre mais qui n’est plus tout à fait de la chair, du sang, du geste. Virginie Jaton pousse plus loin l’aventure désespérante de l’écriture afin d’aller chercher chaque fois un peu plus au fond du silence les mots qui inscrivent la et leur disparition. Surgit une sorte de débâcle, un chaos « fleur de feu » et brèche.
Le vide est là depuis l’origine, comme une immense machine dont les rouages huilent les mots sur lequel on  glisse et où les ongles  se brisent. Une telle écriture semble celle d’un trépas : on n’y peut rien, c’est comme ça semble nous dire celle qui, encore jeune, cultive (en dehors de ses articles de spécialistes) une oeuvre intime, dense, ramassée et qui trouve en certains artistes (Claire Nicole, Mario Masini entre autres) une manière d’écho afin de transcrire l’entrevoir, l’entre-vivre. Paradoxalement pourtant une telle poésie nous vivifie : plus on s’y confronte, plus surgit une  voix muette en nous qui dit : vis d’une autre vie. D’où la fascination d’une telle écriture. Elle ne nous quitte pas, on s’y arrime, et soudain, contrairement à ce qui a été affirmé plus haut, le mot froid devient une brûlure. On se tient à ces mots comme seuls viatiques, car il arrive parfois qu’ils ce que les choses ne font pas. C’est rare, mais c’est bien ce qui se passe ici : trois pages suffisent pour croire toucher à travers eux ce qui dans la vie passe et ne passe pas. Il s’agit alors d’une sorte de transfuge. Nous sommes là « à la lisière brouillée de la pensée ». Les mots ne la possèdent pas encore mais ils en indiquent la voie. On s’accroche à eux comme des bouées de corps-morts.
Les mots sont d’ailleurs comme nos morts : ils durent dans nos yeux dans notre corps. Mais soudain nous sommes des vivants  par procuration qui savent et qui se souviennent déjà : nous sortons paradoxalement de l’état de fantôme auquel l’habituel « caveaublaire » (Prigent) nous réduit, nous sommes au milieu d’une interrogation qui nous échappe mais qui nous tient lieu de rappel : l’écriture ne sert qu’à ça sinon elle n’est rien qui vaille.

«Sur le bruit d’une branche»

Pierre Hugli

Parus dans Ph+arts n° 78, 2009

tristesse
inséparable de la vie

à la lisière brouillée
de la pensée

auprès d’une présence
infinie
l’éternité n’est guère plus longue que la vie»

Nous sommes au début du recueil, récemment paru, de Sur le bruit d’une branche de Virginie Jaton, jeune femme de lettres lausannoise dont les vers tentent de cerner l’indicible, la fuite du temps. Très concentré, le langage est pourtant clair, il évoque des climats plutôt qu’un récit: nous sommes dans une poésie quasi musicale, marquée à peine par la présence humaine, si ce n’est, bien sûr, cette forte subjectivité qui a nom «tristesse». Mais il faut lire le recueil de bout en bout, sans manquer un mot – ce n’est guère long: ainsi on saisit un mouvement, qui part de ce climat sombre pour gagner quelques lueurs, annoncées, au centre:

Le monde est blanc

Fleur de feu

Toujours la fuite du temps, certes,

un mot
déjà l’oubli
manque effacé d’une uchronie

ah, uchronie, l’événement que l’on imagine dans le passé et qui n’a pas eu lieu (le nez de Cléopâtre chez Pascal, la présidence de Charles Lindbergh chez Philippe Roth)! D’un vécu et d’une présence entrevus, échappés… Restent, à mesure que l’on avance, le verbe et la lumière, la vie:

Tout donner au soleil brûlant
Tout, sauf son ombre, calme intensité du silence

Par la fenêtre

Un jeune martinet accueille le regard
Dans des lignes d’eau, de vent, et de lumière

Ce recueil fait l’objet d’une superbe édition, avec le contrepoint d’une douzaine de précieuses peintures reproduites de Claire Nicole.